Que de livres, de documentaires et de films de fiction consacrés à Jacques Mesrine, le gangster le plus médiatisé des années 70 ! Cette fois, il n’est pas question de raconter une énième fois son parcours mais de comprendre à qui il parle, 45 ans après sa mort.

Le tombeau poétique est un exercice de style trouvant ses origines dans les épitaphes de la Grèce antique. Il s’agit aujourd’hui d’un recueil collectif composé de plusieurs épitaphes. J’ai donc choisi une unité de temps et de lieu, le 2 novembre à Clichy-la-Garenne pour donner la parole à ces anonymes qui se rendent sur la tombe de Jacques Mesrine le jour de la date anniversaire de sa mort. Pour la plupart, ils ne l’ont pas connu ou si peu. Alors pourquoi viennent-ils et que viennent-ils chercher ? De son vivant, le gangster a suscité l’intérêt de beaucoup et forcé le respect de gens issus des classes populaires, des révoltés et des gauchistes. Il incarne le refus de l’autorité, le défi à l’Etat. Et en France, la tradition du bandit apprécié est forte. Face au policier, n’est-on pas du côté de Guignol ? Et Mesrine savait parler à son auditoire, non sans humour.

Les gauchistes se sont assagis ou se sont détournés d’une figure pas assez politique, trop controversée. Restent les petites gens, travailleurs du bas de l’échelle sociale, marginaux, repris de justice, révoltés des cités… Qu’importe qu’ils fantasment Mesrine en lui attribuant un rôle, des valeurs, des intentions qu’il n’avait pas forcément. Ce qui est important, c’est le lien affectif que ces gens construisent avec lui. Se déplaçant pour certains chaque année sur la tombe du gangster, la fidélité de ces visiteurs pose question. Elle nous en apprend bien plus sur eux, leur vie, leurs parcours parfois difficiles, leur insoumission qu’ils voudraient plus grande, leur méfiance envers l’Etat, les politiques, l’autorité, leur dégoût face aux injustices. Sans savoir trouver les mots de l’analyse, ils sont aussi souvent ulcérés par les rapports de classes. Leur présence interroge et parle… C’est cette parole que la mairie de Clichy-la-Garenne ne souhaitait pas voir portée. Par l’absence de réponse à une demande d’autorisation, sous prétexte de mauvaise image que donne Jacques Mesrine à la ville, elle ne voulait pas que ce documentaire existe. C’est oublier qu’au-delà d’un délai de deux mois, en Droit français, l’absence de réponse d’une collectivité locale vaut réponse positive. C’est oublier qu’on n’efface ni la présence de la tombe de Jacques Mesrine du cimetière de Clichy-la-Garenne ni la parole des gens.

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