Qu’est-ce que l’édition de 1968 du Concours de l’Eurovision de la chanson, dont la cérémonie se déroule à Londres, aurait donc de remarquable ? A priori, malgré la participation de grands noms de l’époque comme Cliff Richard pour le Royaume Uni et Isabelle Aubret pour la France, les favoris, pas grand-chose.

Sauf que, dès le lendemain de la victoire inattendue de l’Espagnole Massiel, les premières rumeurs de corruption de la part du régime franquiste commencent à circuler… jusqu’à aujourd’hui.

Dans la première partie, le décor est planté, présentant les protagonistes les plus importants et les innovations techniques de cette édition de l’Eurovision, grande messe télévisée européenne suivie par 200 millions de personnes. Mais surtout, est présentée la fastidieuse sélection de la représentante de l’Espagne. En effet, lorsque l’artiste pressenti, Juan Manuel Serrat, jeune représentant de la Nouvelle chanson à texte catalane, annonce sa volonté d’interpréter l’aimable ritournelle justement en catalan, la télévision ibérique est en émoi. Le régime autoritaire de Francisco Franco, unifié autour de la notion de Patrie et une langue unique, le castillan, ne saurait se satisfaire de l’utilisation d’une langue régionale, qui plus est celle d’une partie de l’Espagne incarnant durant la guerre civile le projet de République sociale balayée par les militaires. Voici donc Joan Manuel Serrat débarqué à quinze jours de la cérémonie de l’Eurovision. La jeune Massiel est finalement choisie. Il faut la faire revenir du Mexique et faire accepter à la télévision britannique ce changement de dernière minute. Ça commence bien !

La seconde partie fait revivre le vote effectué en direct par les pays participants à l’Eurovision. Le suspense est à son comble, chaque compositeur et interprète attend le résultat. Et là non plus, tout ne se déroule pas tout à fait tranquillement puisqu’une erreur de comptage nécessite le rappel du jury yougoslave. Lorsque l’annonce du résultat final intervient enfin, la déception est vertigineuse pour Cliff Richard et son duo de compositeurs. La presse populaire parle de triche mais ne serait-ce pas de la mauvaise foi ? En 2008, cependant, un ancien animateur de la télévision espagnole révèle l’intervention en coulisses du régime pour que le pays soit victorieux. Les enjeux, la possibilité d’utiliser une vitrine culturelle et médiatique pour donner à la dictature espagnole des allures respectables et les retombées économiques sur le tourisme, sont immenses. Mais quel crédit apporter à un vaste plan de corruption par l’achat de programmes à d’autres pays européens orchestré par la télévision nationale aux ordres de Franco ? A moins que toute l’affaire se rapporte à des protagonistes de l’ombre, agissant pour des motifs plus personnels et avec moins d’ambition. Qui sait ?