A propos de Mai 68, deux poncifs sur le fond comme la forme reviennent toujours. D’abord, les événements sont présentés habituellement par les médias comme une révolte existentielle de la jeunesse, essentiellement parisienne, en mal de liberté et cherchant à desserrer le carcan gaulliste, jetant aux oubliettes la lutte des classes en action. Ensuite, la plupart des émissions et débats consacrés à Mai 68 donnent la parole à des anciens étudiants devenus acteurs médiatiques et, lorsqu’il y a échange générationnel, ce sont toujours les protagonistes d’hier qui expliquent leur vécu aux jeunes d’aujourd’hui. Ce documentaire prend le contrepied de cette fable bien rodée et la manière de la présenter.

J’ai choisi de me concentrer sur le Mai 68 nantais, méconnu, oublié des médias et des manuels scolaires, et pourtant exemplaire à plus d’un titre. Nantes en particulier et la région Loire-Atlantique d’une manière plus générale vit les étudiants, les ouvriers et les paysans rentrer dans la lutte et entretenir des liens, même si les vues de chacun de ces groupes sociaux pouvaient différer. La participation du milieu rural est inédite et, à Paris, les relations entre la Sorbonne exaltée et les usines en grève furent quasi-inexistantes. Le lien filial reliant paysans à des membres de leurs familles partis travailler en usine en ville et, pour la première fois, l’origine modeste d’une nouvelle génération de jeunes, fils d’ouvriers, rentrant à l’université, peut expliquer ces liens. Une certaine radicalité, présente chez les agitateurs étudiants libertaires, fut parfois partagée en actes par les travailleurs et des liens de solidarité concrètent s’exprimèrent. La première usine à se mettre en grève en France fut Sud Aviation, dans la banlieue nantaise, ouvrant la voie aux dix millions de grévistes qui paralysèrent l’économie et à un appel tardif des syndicats. Enfin, il y eu un embryon d’organisation autogestionnaire lorsque le Comité de grève prit en charge les services essentiels pour la population, avec le concours des acteurs de Mai 68.

Dans sa forme, je souhaitais également que la parole circule plutôt qu’elle n’existe que dans un sens. Des ateliers pédagogiques menés conjointement par l’Education nationale, les Archives de la Ville de Nantes et le Centre d’histoire du travail, dans les collèges et lycéens de la région nantaise m’ont inspiré. Ils consistaient pour les élèves à étudier le Mai 68 nantais puis à produire une bande dessinée, un journal, un web documentaire et des lettres, en se mettant dans la peau de protagonistes des événements de l’époque. Dans ces travaux, on pouvait souvent lire en filigrane les aspirations bien actuelles de certains élèves. Aujourd’hui étudiants, j’ai sélectionné quelques-uns d’entre eux et leur ai proposé de prolonger l’expérience en leur faisant rencontrer des anciens soixante-huitards, ouvrier, paysan, étudiants, femme ayant pris part à la lutte. Ces dialogues ont laissé libre cours à l’expression de la compréhension des événements mais aussi aux étonnements, aux peurs, espoirs et désirs de la jeunesse d’aujourd’hui.

Des lectures de lettres rédigées lors des ateliers pédagogiques constituent notre point de départ, une visite guidée des lieux-clés du Mai 68 nantais nous connectent à la ville omniprésente et à son au passé, et les rencontres, toutes se déroulant dans des lieux signifiants font le lien entre hier et aujourd’hui et nous projettent vers un futur, des situations et des défis complexes.

Ecouter sur le site de France Culture

Atelier pédagogique sur Mai 68 à Nantes animé en 2018 au Centre d’histoire du travail, photo Delphine Gillardin

Manifestation du 28 mai 1968, cours des Cinquante-Otages à Nantes, Centre d’histoire du travail, fonds Mai 68

Manifestation des paysans, arrivée sur Nantes, le 24 mai 1968, Centre d’histoire du travail, fonds Mai 68

Mai 68 à Nantes, document du Comité central de grève relatif au ravitaillement de la population en essence, Centre d’histoire du travail, fonds Mai 68

Tract, Centre d’histoire du travail, fonds Mai 68

Usine Sud-Aviation de Bouguenais, occupée en mai 1968 : Centre d’histoire du travail, Collection Daniel Palvadeau, photo Jean Lucas